A l’aune de ce que vivent et subissent plusieurs centaines de milliers de micro-travailleurs du numérique en France, les auto-entrepreneurs exploités par les plates-formes de livraison de repas, feraient presque figure de magnats du pétrole. Un rapport du DiPLab (Télécom ParisTech et CNRS) apporte un éclairage inédit sur ce sous-prolétariat du 21ème siècle.
C’est une population qui n’existe pas. Une population hors statistiques. Parfois pudiquement qualifiés de “petites mains du numérique”, ils sont des centaines de milliers en France à accomplir chaque jour des micro-tâches, en dehors de tout cadre légal et de tout contrat de travail traditionnel, dans l’espoir de gagner au mieux quelques dizaines d’euros par mois.
Ces “crowdworkers” ou micro-travailleurs alimentent au quotidien des algorithmes d’apprentissages. Ces humains viennent nourrir des algorithmes d’intelligence artificielle et contribue de facto à leur amélioration.
Pour la première fois en France un rapport leur est consacré. Intitulée “Le micro-travail en France”, cette étude a été dirigée par Antonio A. Casilli* (Télécom ParisTech) et Paola Tubaro (CNRS) et produite par une équipe de chercheuses et chercheurs du DiPLab (Télécom ParisTech et CNRS).
Quelques centimes pour retranscrire un manuscrit à l’ordinateur, pour un formulaire, ou pour prendre en photo une devanture de magasin. Tout ceci pour un salaire n’excédant que très rarement les 2 euros 50 de l’heure…
260 000 micro-travailleurs précaires
Tri de données, étiquetage d’images, prononciation de mots… Les missions confiées ne requièrent aucune compétence particulière. Il s’agit le plus souvent de tâches répétitives, payées à l’unité.
Selon le rapport du projet Digital Platform Labor (DiPLab), la France compterait aujourd’hui environ 260 000 micro-travailleurs.
Cette population pour laquelle les notions de droit du travail et d’heure supplémentaire relèvent de la plus parfaite illusion fait le bonheur de plusieurs dizaines de plates-formes d’intermédiation, des structures qui peuvent s’apparenter à des Thénardiers de l’ère numérique parmi lesquelles on retrouve la célèbre Amazon Mechanical Turk, lancée en 2005 par le géant de l’e-commerce, ou d’autres acteurs comme les Américains Microworkers, Clickworker et Clixsense.
Ces micro-travailleurs précaires, comme le soulignait il y a quelques mois un rapport de l’OIT (Organisation internationale du travail), rattachée à l’ONU, ne sont jamais qualifiés comme tels. On préfère au mieux les appeler du nom de « vendeur » (de données), de « prestataire », voire même de « freelancer ».
Ils louent auprès de ces plates-formes leur bien le plus précieux, à savoir leur temps de vie, le plus souvent contre une rémunération de misère.
Selon le rapport du DiLab, 22% des utilisateurs de l’une de ces plates-formes, interrogés pour la circonstance, ont ainsi un niveau de vie en dessous du seuil de pauvreté (défini comme la moitié du salaire médian).
Et d’après un rapport de 2017 remis à la Direction générale des politiques internes du Parlement européen, les micro-travailleurs français ne sont payés que 54,1% du salaire minimum.
- Sociologue, auteur du récent ouvrage « En attendant les robots : Enquête sur le travail du clic », Paris, Seuil,
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